Libro

Dissertation, de Dom August Calmet


Dissertation sur les revenants en corps, les excommunies, les oupirs ou vampires, brucolaques, de Dom Agustin Calmet, se publicó en 1746 y es una obra clave en la bibliografía upirológica. He aquí algunos extractos del texto en el original francés:


PRÉFACE

"Chaque siècle, chaque nation, chaque pays a ses préventions, ses maladies, ses modes, ses penchants, qui le caractérisent et qui passent et se succèdent les uns aux autres, et souvent ce qui a paru admirable en un temps, devient pitoyable et ridicule dans un autre. On a vu des siècles où tout était tourné à certaines dévotions, certain genre d'études, certains exercices. On sait que pendant plus d'un siècle le goût dominant de l'Europe était le voyage de Jérusalem. Les rois, les princes, les seigneurs, les évêques, les ecclésiastiques, les religieux tous y couraient en foule. Les pèlerinages de Rome ont été autrefois très fréquents et très fameux. Tout cela est tombé. On a vu des provinces inondées de flagellants, et il n'en est demeuré des restes que dans les confréries de pénitents, qui subsistent en plusieurs endroits.

Nous avons vu dans ces pays-ci, des sauteurs et des danseurs, qui à chaque instant sautaient et dansaient dans les rues, dans les places et jusque dans les églises. Les convulsionnaires de nos jours semblent les avoir fait revivre. La postérité s'en étonnera comme nous nous en raillons aujourd’hui. Sur la fin du siècle seizième et au commencement du dix-septième, on ne parlait en Lorraine que de sorciers et de sorcières. Il n'en est plus question depuis longtemps. Lorsque la philosophie de M. Descartes parut, quelle vogue n'eut-elle pas ! On méprisa l'ancienne philosophie, on ne parla plus que d'expériences physiques, de nouveaux systèmes, de nouvelles découvertes. M. Newton vient de paraître, tous les esprits sont tournés de son côté. Le système de M. Law, les billets de banque, les fureurs de la rue de Quincampoix, quels mouvements n'ont-ils pas causés dans le royaume ? C'était une espèce de convulsion qui s’était emparée des Français.

Dans ce siècle, une nouvelle scène s’offre à nos yeux depuis environ soixante ans dans la Hongrie, la Moravie, la Silésie, la Pologne ; on voit, dit-on, des hommes morts depuis plusieurs années, ou du moins depuis plusieurs mois, revenir, parler, marcher, infester les villages, maltraiter les hommes et les animaux, sucer le sang de leurs proches, les rendre malades et enfin leur causer la mort ; en sorte qu'on ne peut se délivrer de leurs dangereuses visites et de leurs infestations, qu'en les exhumant, les empalant, leur coupant la tête, leur attachant le nom d'oupires, ou vampires, et l'on en raconte des particularités si singulières, si détaillées, et revêtues de circonstances si probables, et d'informations si juridiques, qu'on ne peut presque pas se refuser à la croyance qu'on a dans ces pays, que ces revenants paraissent réellement sortir de leurs tombeaux, et produire les effets qu'on en publie.

L'Antiquité n'a certainement rien vu ni connu de pareil. Qu'on parcoure les histoires des Hébreux, des Egyptiens, des Grecs, des Latins; on n'y rencontrera rien qui en approche.

Il est vrai que l'on remarque dans l'Histoire, mais rarement, que certaines personnes, après avoir été quelques temps dans leurs tombeaux et tenues pour mortes, sont revenues en vie. On verra même que les Anciens ont cru que la magie pouvait donner la mort et évoquer les âmes des trépassés. On cite quelques passages qui prouvent qu'en certains temps, on s'est imaginé que les sorciers suçaient le sang des hommes et des enfants, et les faisaient mourir. On vit aussi au douzième siècle en Angleterre et en Danemark, quelques revenants semblables à ceux de Hongrie. Mais en nulle histoire, on ne lit rien d'aussi commun, ni aussi marqué que ce qu'on nous raconte des vampires d ePologne, de Hongrie et de Moravie.

L'Antiquité chrétienne fournit quelques exemples de personnes excommuniées, qui sont sorties visiblement et à la vue de tout le monde de leurs tombeaux et des églises, lorsque de diacre ordonnait aux excommuniés et à ceux qui ne communiaient point aux saints mystères de se retirer. Depuis plusieurs siècles, on ne voit plus rien de semblable, quiqu'on n'ignore pas que les corps de plusieurs excommuniés, morts dans l'excommunication et dans les censures, sont inhumés dans les églises.

La créance des nouveaux grecs, qui veulent que les corps des excommuniés ne pourrissent point dans leurs tombeaux, est une opinion qui n'a nul fondement, ni dans l'Antiquité, ni dans la bonne théologie, ni même dans l'Histoire. Ce sentiment paraît n'avoir été inventé par les nouveaux grecs schismatiques, que pour s'autoriser et s'affermir dans leur séparation de l'Eglise romaine. L'Antiquité chrétienne croyait que l'incorruptibilité d'un corps était plutôt une marque probable de la saintaté de la personne, et une preuve de la protection particulière de Dieu sur un corps qui a été pendant sa vie le temple du Saint-Esprit et sur un personne qui a conservé dans la justice et l'innocence le caractère du christianisme.

Les brucolaques de la Grèce et de l'Archipel sont encore des revenants d'une autre espèce. On a peine à se persuader qu'une nation aussi spirituelle que la grecque ait pu donner dans une idée aussi extraordinaire que celle-là. Il faut que l'ignorance ou la prévention soient extrêmes parmis eux, puisqu'il ne s'y est trouvé ni ecclésiastique ni autre écrivain qui ait entrepris de les détromper sur cet article.

L'imagination de ceux qui croient que les morts mâchent dans leurs tombeaux, et font un bruit à peu près semblable à celui que font les porcs en mangeant, est si ridicule, qu'elle ne mérite pas d'être sérieusement réfutée.

J'entreprends de traiter ici la matière des revenants ou des vampires de Hongrie, de Moravie, de Silésie et de Pologne, au hasard d'être critiqué de quelque manière que je m'y prenne; ceux qui les croient véritables m'accuseront de témérité et de présomption, de les avoir révoqués en doute, ou même d'avoir nié l'éxistance et la réalité; les autres me blâùeront d'avoir employé mon temps à traiter de cette matière, qui passe pour frivole et inutile dans l'esprit de bien des gens de bon sens. De quelque manière qu'on pense, je me saurai bon grè d'avoir approfondi une question, qui m'a paru importante pour la religion; car si le retour des vampires est réel, il importe de le défendre et de le prouver; et s'il est illusoire, il est de conséquence pour l'interêt de la religion de détromper ceux qui le croient véritable, et de détruire une erreur qui peut avoir de très dangeureuses suites."

CHAPITRE I

Apres avoir traité dans une Dissertation particuliere la matiere del Apparitions des Anges, des Demons & des Ames séparées du corps , la connexité de la matiere m'invite à parler aussi des Revenants , des Excommuniés , que la terre rejette , dit-on , de son sein , des Vampires de Hongrie , de Silésie , de Bohême , de Moravie , & de Pologne , & des Brucolaques de Grece. Je rapporterari d'abord ce qu'on en a dit & écrit ; puis j'en tirerari quelques conséquences, & j'apporterai les raisons qu'on peut produire pour & contre leur existence & leur realité.

Les revenants de Hongrie, ou les Vampires,qui sont le principal objet de cette Dissertatio , sont des hommes morts depuis un temps considérable, quelquefois plus quelquefois moins long, qui sortent de leurs tombeaux, et viennent inquiéter les vivants, leur sucent le sang, leur apparaissent, font le tintamarre à leur porte et dans leur maison et enfin leur causent souvent la mort. On leur donne le nom de Vampires ou d'Oupires, qui signifie , dit-on en Esclavon una sang-suë. On ne se délivre de leurs infestations , qu'en les déterrant , en leur coupant la tête , en les empalant,ou les brûlant, ou leur perçant le coeur.

On a proposé plusieurs systèmes pour expliquer le retour et ces apparitions des vampires. Quelques-uns les ont niés et rejetés comme chimériques, et comme un effet de la prévention et de l'ignorance du peuple de ce pays, où l'on dit qu'ils reviennent.

D'autres ont cru que ces gens n'étaient pas réellement morts, mais qu'ils avaient été enterrés tout vivants et qu'ils revenaient d'eux-mêmes naturellement et sortaient de leur tombeau.

D'autres croient que ces gens sont réellement morts ; mais que Dieu par une permission ou un commandement particulier leur permet ou leur ordonne de revenir et de reprendre pour un temps leur propre corps, car, quand on les tire de terre, on trouve leurs corps entier, leur sang vermeil et fluide, et leurs membres souples et maniables.

D'autres soutiennent que c'est le démon, qui fait paraître ces revenants, et qui fait par leur moyen tout le mal qu’ils causent aux hommes et aux animaux.

...

CHAPITRE VII

Venons à présent à l'examen du fait des Revenans ou Vampires de Moravie.

J'ai appris de feu M. de Vassimont, conseiller de la Chambre des Comptes de Bar, qu'ayant été envoyé en Moravie par feu S.A.R Léopold Duc de Lorraine pour les affaires de Monseigneur le Prince Charles son frère, évêque d'Olmutz et d'Osnabruch, fut informé par le bruit public, qu'il était assez ordinaire en ce pays-là de voir les hommes décédés quelques temps auparavant, se présenter dans les compagnies et se mettre à table avec les personnes de leur connaissance sans rien dire, mais faisant un signe de tête à quelqu'un des assistants, lequel mourrait infailliblement quelques jours après. Ce fait lui fut confirmé par plusieurs personnes, et entre autres par un ancien curé qui disait avoir vu plus d'un exemple.

Les évêques et les prêtres du pays consultèrent Rome sur un fait si extraordinaire, mais on ne leur fit point de réponse, parce qu'on y regardait apparemment tout cela comme pures visions, ou des imaginations populaires. On s'avisa ensuite de déterrer les corps de ceux qui revenaient ainsi, de les brûler, ou de les consumer en quelques autres manières. Ainsi l'on s'est délivré de l'importunité de ces spectres, qui sont aujourd'hui beaucoup moins fréquents qu'auparavant dans ce pays. C’est ce que disait ce bon prêtre.

Ces apparitions ont donné occasion à un petit ouvrage intitulé : Magia Posthuma, composé par Charles Ferdinand de Schertz, imprimé à Olmutz en 1706, dédié au Prince Charles de Lorraine, évêque d'Olmutz et d'Osnabruch. L'auteur raconte qu'en un certain village une femme étant venue à mourir, munie de tous ses sacrements, fut enterrée dans le cimetière à la manière ordinaire. Quatre jours après son décès, les habitants du village ouïrent un grand bruit et un tumulte extraordinaire, et virent un spectre qui paraissait tantôt sous la forme d'un chien, tantôt sous celle d'un homme, non à une personne, mais à plusieurs, et leur causait de grandes douleurs, leur serrant la gorge, et leur comprimant l'estomac jusqu'à les suffoquer : il leur brisait presque tout le corps, et les réduisait à une faiblesse extrême, en sorte qu'on les voyait pâles, maigres, et exténués.

Le spectre attaquait même les animaux, et l'on a trouvé des vaches abattues et demi-mortes ; quelquefois il les attachait l'une à l'autre par la queue. On voyait les chevaux comme accablés de fatigue, tout en sueur, surtout sur le dos, échauffés, hors d'haleine, et écumants comme après une longue et pénible course. Ces calamités durèrent plusieurs mois.

L'auteur que j’ai nommé examine la chose en jurisconsulte, et raisonne beaucoup sur le fait et sur le droit. Il rapporte plusieurs exemples de pareilles apparitions, et des maux qui s'en sont ensuivis. Comme d'un pâtre du village de Blow près de la ville de Kadam en Bohême, qui parut pendant quelques temps, et qui appelait certaines personnes, lesquelles ne manquaient pas de mourir dans la huitaine. Les paysans de Blow déterrèrent le corps de ce pâtre, et le fichèrent en terre avec un pieu, qu'ils lui passèrent à travers le corps.

Cet homme en cet état se moquait de ceux qui lui faisait souffrir ce traitement, et leur disait qu'ils avaient bonne grâce de lui donner ainsi un bâton pour se défendre contre les chiens. La même nuit il se releva et effraya par sa présence plusieurs personnes, et en suffoqua plus qu'il n'avait fait jusqu'alors. On le livra ensuite au bourreau, qui le mit sur une charrette pour le transporter hors du village et l'y brûler. Ce cadavre hurlait comme un furieux, et remuait les pieds et les mains comme un vivant, et lorsqu'on le perça de nouveau avec des pieux, il jeta de très grands cris, et rendit du sang très vermeil et en grande quantité. Enfin on le brûla, et cette exécution mit fin aux apparitions, et aux infestations de ce spectre.

On en a usé de même dans les autres endroits, où l'on a vu de semblables revenants, et quand on les a tirés de terre ils ont paru vermeils, les membres souples et maniables, sans vers et sans pourriture, mais non sans une très grande puanteur. L'auteur cite divers autres écrivains, qui attestent ce qu'il dit de ces spectres, qui paraissent encore, dit-il, assez souvent dans les montagnes de Silésie et de Moravie. On les voit et de nuit et de jour, on aperçoit les choses qui leur ont appartenu se remuer et changer de place, sans qu'il y ait personne visible qui les touche. Le seul remède contre ces apparitions, est de couper la tête, et de brûler le corps de ceux qui reviennent.

Toutefois on n'y procède pas sans forme de justice ; on cite et on entend les témoins ; on examine les raisons, on considère les corps exhumés, pour voir si l’on y trouve les marques ordinaires, qui font conjecturer que ce sont eux qui molestent les vivants, comme la mobilité, la souplesse dans les membres, la fluidité dans le sang, l'incorruption dans les chairs. Si ces marques se rencontrent, on les livre au bourreau qui les brûle. Il arrive quelquefois que les spectres paraissent encore pendant trois ou quatre jours après l'exécution. Quelquefois on diffère d'enterrer pendant six ou sept semaines les corps de certaines personnes suspectes. Lorsqu’elles ne pourrissent point, et que leurs membres demeurent souples et maniables, comme s'ils étaient vivants, alors on les brûle. On assure comme certains que les habits de ces personnes se meuvent, sans qu'aucune personne vivante les touche, et l'on a vu depuis peu à Olmutz, continue toujours notre auteur, un spectre qui jetait des pierres, et causait de grands troubles aux habitants.

CHAPITRE VIII

Mors de Hongrie , qui sucent le sang des Vivans.

Il y a environ quinze ans qu'un soldat étant en garnison chez un paysan haidamaque à la frontière de la Hongrie, vit entrer dans la maison, comme il était à table auprès du maître de la maison de son hôte, un inconnu qui se mit aussi à table avec eux. Le maître du logis en fut étrangement effrayé, de même que le reste de la compagnie. Le soldat ne savait qu’en juger, ignorant de quoi il était question. Mais le maître de la maison étant mort dès le lendemain, le soldat s’informa de ce que c’était. On lui dit que c’était le père de son hôte, mort et enterré depuis plus de dix ans, qui était ainsi venu s’asseoir auprès de lui, et lui avait annoncé et causé la mort.

Le soldat en informa d'abord le régiment, et le régiment en donna avis aux officiers généraux, qui donnèrent commission au comte de Cabreras, capitaine du régiment d'Alandetti Infanterie, de faire information de ce fait. S'étant transporté sur les lieux avec d'autres officiers, un chirurgien et un auditeur, ils ouïrent les dépositions de tous les gens de la maison, qui attestèrent d'une manière uniforme, que le revenant était père de l’hôte du logis, et que tout ce que le soldat avait dit et rapporté, était dans l’exacte vérité. Ce qui fut aussi par tous les habitants du village.

En conséquence on fit tirer de terre le corps de ce spectre, et on le trouva comme un homme qui vient d’expirer, et son sang comme d’un homme vivant. Le comte de Cabreras lui fit couper la tête, puis remettre dans son tombeau. Il fit encore information d’autres pareils revenants, entre autres d’un homme mort depuis plus de trente ans, qui était revenu par trois fois dans sa maison à l’heure du repas, avait sucé le sang au cou la première fois à son propre frère, la seconde à un de ses fils, et la troisième à un valet de la maison, et tous les trois en moururent sur-le-champ. Sur cette déposition le Commissaire fit tirer de terre cet homme, et le trouvant comme le premier ayant le sang fluide, comme l’aurait un homme en vie, il ordonna qu’on lui passât un grand clou dans la tempe, et ensuite qu’on le remît dans le tombeau.

Il en fit brûler un troisième, qui était enterré depuis plus de seize ans, et avait sucé le sang, et causé la mort de deux de ses fils. Le commissaire ayant fait son rapport aux officiers généraux, on députa à la Cour de l’Empereur, qui ordonna qu’on envoyât des officiers de guerre, de justice, des médecins et des chirurgiens, et quelques savants pour examiner les causes de ces événements si extraordinaires. Celui qui nous a raconté des particularités , les avoit apprises de Monsieur le Comte de Cabreras à Fribourg en Brigsau en 1730.

CHAPITRE IX

Récit d'un Vampire , tiré des Lettres juives ; Lettre 137.

Voici ce qu'on lit dans les lettres juives , nouvelle édition 1738. Lettre 137.

On vient d'avoir dans ces quartiers de Hongrie une scène de Vampirisme qui est duement attestée par deux Officiers du Tribunal de Belgrade , qui ont fait descente sur les lieux , et par un Officier de tropies de l'Empereur à Gradisch , qui a été témoin oculaire des procédures.

Au commencement de septembre mourut dans le village de Kisilova, à trois lieues de Gradisch, un vieillard âgé de soixante-deux ans ; et trois jours après avoir été enterré, il apparut la nuit à son fils, et lui demanda à manger. Celui-ci en ayant servi, il mangea, et disparut. Le lendemain, le fils raconta à ses voisins ce qui était arrivé. Cette nuit le père ne parut pas ; mais la nuit suivante il se fit voir, et demanda à manger ; on ne sait pas si son fils lui en donna ou nom, mais on trouva le lendemain celui-ci mort dans son lit ; le même jour, cinq ou six personnes tombèrent subitement malades dans le village et moururent l’une après l’autre peu de jours après.

L’Officier ou Bailli du lieu informé de ce qui était arrivé, en envoya une relation au Tribunal de Belgrade, qui fit venir dans ce village deux de ses officiers avec un bourreau pour examiner cette affaire. L’Officier impérial dont on tient cette relation, s’y rendit de Gradisch, pour être témoin d’un fait dont il avait si souvent ouï parler.

On ouvrit tous les tombeaux de ceux qui étaient morts depuis six semaines : quand on vint à celui du vieillard, on le trouva les yeux ouverts, d’une couleur vermeille, ayant une respiration naturelle, cependant immobile et mort; d’où l’on conclut qu’il était un signalé vampire. Le boureau lui enfonça un pieu dans le cœur. On fit un bûcher, et l’on réduisit en cendres le cadavre. On ne trouva aucune marque du vampirisme , ni dans le cadavre du fils, ni dans celui des autres.

Graces à Dieu , nous ne sommes rien moins que crédules. Nous avouons que toutes les lumiéres de Physique que nous pouvons approcher de ce falit , ne découvrent rien de ces causes. Cependant nous ne pouvons refuser de croire véritable un fait attesté juridiquement , et par des gens de probité : nous copierons ici ce qui est arrivé en 1732. Et que nous avons inféré alors dans le Glaneur Nº. xviij.

CHAPITRE X.

Autres Exemples de Revenans. Continuation du Glaneur.

Dans un certain canton de la Hongrie, nommé en latin Oppida Heidonum, au-delà du Tibisque, vulga Teisse, c'est-à-dire, entre cette rivière qui arrose le fortuné terroir de Tockay et la Transylvanie, le peuple connu sous le nom de Heiduque croit que certains morts, qu'ils nomment vampires, sucent tout le sang des vivants, en sorte que ceux-ci s'exténuent à vue d'oeil, au lieu que les cadavres, comme des sangsues, se remplissent de sang en telle abondance, qu'on le voit sortir par les conduits, et même par les pores. Cette opinion vient d'être confirmée par plusieurs faits, dont il semble qu'on ne peut douter, vu la qualité des témoins qui les ont certifiés. Nous en rapporterons ici quelques-uns des plus considérables.

Il y a environ cinq ans, qu'un certain heiduque habitant de Medreïga, nommé Arnold Paul, fut écrasé par la chute dun chariot de foin. Trente jours après sa mort, quatre personnes moururent subitement, et de la manière que meurent, suivant la tradition du pays, ceux qui sont molestés de vampires. On souvint alors que cet Arnold Paul avait souvent raconté qu'aux environs de Cassova, et sur les frontières de la Serbie turque, il avait été tourmenté par un vampire turc ; car il croit aussi que ceux qui ont été vampires passifs pendant leur vie, deviennent actifs après leur mort, c'est-à-dire, que ceux qui sont sucés, sucent aussi à leur tour ; mais quil avait trouvé moyen de se guérir en mangeant de la terre de sépulture du vampire, et en se frottant de son sang : précaution qui ne l'empêcha pas cependant de le devenir après sa mort, puisqu'il fut exhumé quarante jours après son enterrement, et qu'on trouva sur son cadavre toutes les marques dun archivampire. Son corps était vermeil : ses cheveux, ses ongles, sa barbe, s'étaient renouvelés, et ses veines étaient toutes remplies dun sang fluide, et coulant de toutes les parties de son corps sur le linceul dont il était environné. Le Hadnagi ou le Bailli du lieu, en présence de qui se fit lexhumation, et qui était un homme expert dans le vampirisme, fit enfoncer, selon la coutume, dans le coeur du défunt Arnold Paul, un pieu fort aigu, dont on lui traversa le corps de part en part, ce qui lui fit, dit-on, jeter un cri effroyable comme s'il était en vie. Cette expédition faite, on lui coupa la tête et l'on brûla le tout. Après quoi on fit la même expédition sur les cadavres de ces quatre autres personnes mortes de vampirisme, crainte qu'ils nen fissent mourir d'autres à leur tour.

Toutes ces expéditions n'ont cependant pu empêcher, que vers la fin de l'année dernière, cest-à-dire, au bout de cinq ans, ces funestes prodiges n'aient recommencé, et que plusieurs habitants du même village ne soient péris malheureusement. Dans lespace de trois mois, dix-sept personnes de différents sexes et de différents âges sont mortes de vampirisme : quelques-unes sans être malade, et d'autres après deux ou trois jours de langueur. On rapporte entre autre quune nommée Stanoska, fille du heiduque Jotuitzo, qui sétait couchée en parfaite santé, se réveilla au milieu de la nuit, toute tremblante, en faisant des cris affreux, et disant que le fils du heiduque Millo, mort depuis neuf semaines, avait manqué de l'étrangler pendant son sommeil. Dès le moment, elle ne fit plus que languir, et au bout de trois jours elle mourut, ce que cette fille avait du fils de Millo le fit dabord reconnaître pour un vampire, on l'exhuma, et on le trouva tel. Les principaux du lieu, les médecins, les chirurgiens, examinèrent comment le vampirisme avait pu renaître, après les précautions qu'on avait prises, quelques années auparavant.

On découvrit enfin, après avoir bien cherché, que le défunt Arnold Paul avait tué non seulement les quatre personnes dont nous avons parlé, mais aussi plusieurs bestiaux, sont les nouveaux vampires avaient mangé, et entre autres le fils de Millo. Sur ces indices, on prit la résolution de déterrer tous ceux qui étaient morts depuis un certain temps. Parmi une quarantaine on en trouva dix-sept avec tous les signes plus évidents de vampirisme, aussi leur-a-t-on transpercé le coeur et coupé la tête ; et ensuite on les a brûlés et jeté leurs cendres dans la rivière.

Toutes les informations et exécutions dont nous venons de parler, ont été faites juridiquement en bonnes formes et attestées par plusieurs officiers, qui dont en garnison dans le pays, par les chirurgiens majors des régiments et par les principaux habitants du lieu. Le procès-verbal en a été envoyé vers la fin du janvier dernier, au Conseil de guerre impérial à Vienne, qui avait établi une commission militaire, pour examiner la vérité de tous ces faits.

C'est ce qu'ont déclaré le Hadnagi Barriarar et les anciens Heiduques, et ce qui a été signé par Battuer, premier lieutenant du régiment d'Alexandre de Wirtemberg, Clickstenger, chirurgien major du régiment de Frustemburch, trois autres chirurgiens de la compagnie, Guoichitz, capitaine à Stallath.

CHAPITRE XIII

Récit tiré du Mercure galant de 1693 & 1964 sur les Revenants.

Les mémoires publics des années 1693 et 1694 parlent des oupires ou vampires ou revenants, qui se voient en Pologne et surtout en Russie. Ils paraissent depuis midi jusqu’à minuit et viennent sucer le sang des hommes ou des animaux vivants en si grande abondance, que quelquefois il leur sort par la bouche ; par le nez et principalement par les oreilles ; et que le cadavre nage dans son sang répandu dans son cercueil. On dit qu’il a une espèce de faim, qui lui fait manger le linge qu’il trouve autour de lui. Ce redivive ou oupire sorti de son tombeau, ou en démon sous sa figure, va la nuit embrasser et serrer violemment ses proches ou ses amis et leur suce le sang, jusqu’à les affaiblir, les exténuer et leur causer enfin la mort. Cette persécution ne s’arrête pas à une seule personne de la famille à moins qu’on n’en interrompe le cours en coupant la tête ou en ouvrant le cœur du revenant, dont on trouve le cadavre dans son cercueil, mou, flexible, enflé et rubicond, quoiqu’il soit mort depuis longtemps. Il sort de leur corps une grande quantité de sang, que quelques-uns mêlent avec la farine pour faire du pain ; et ce pain mangé à l’ordinaire les garantit de la vexation de l’esprit qui ne revient plus.

CHAPITRE XIV

Conjecutres de glaneur de Hollande en 1733. Nº ix.

[...]

Voici une lettre qui a été écrite à un de mes amis au sujet des revenants de Hongrie :

Pour satisfaire aux demandes de monsieur l’Abbé Dom Calmet concernant les vampires, le soussigné à l’honneur de l’assurer, qu’il n’est rien de plus vrai et de si certain, que ce qu’il en aura sans doute lu dans les actes publics et imprimés, qui ont été insérés dans les gazettes par toute l’Europe ; mais à tous ces actes publics qui ont paru, monsieur l’Abbé doit s’attacher pour un fait véridique et notoire à celui de la députation de Belgrade ordonnée par feu S.M.Imp. Charles VI, de glorieuse mémoire, et exécutée par feu son Altesse Sérénissime le Duc Charles Alexandre de Wurtemberg, pour lors vice-roi, ou gouverneur du royaume de Serbie ; mais je ne puis pour le présent citer l’année, ni le mois, ni le jour, faute de mes papiers, que je n’ai point présentement près de moi.

Ce prince fit partir une députation de Belgrade moitié d’officiers militaires, et moitié du civil, avec l’auditeur général du royaume, pour se transporter dans un village, où un fameux vampire décédé depuis plusieurs années faisait un ravage excessif parmi les siens : car notez que ce n’est que dans leur familles et parmi leur propre parenté que les suceurs de sang se plaisent à détruire notre espèce. Cette députation fut composée de gens et de sujets reconnus par leurs mœurs, et même par leur savoir, irréprochables et même savants parmi les deux ordres : ils furent sermentés, et accompagnés d’un lieutenant des grenadiers du régiment du Prince Alexandre de Wurtemberg, et de vingt-quatre grenadiers dudit Régiment.

Tout ce qu’il y eut d’honnêtes gens, le duc lui-même, qui se trouvèrent à Belgrade, se joignirent à cette députation, pour être spectateurs oculaires de la preuve véridique qu’on allait faire.

Arrivé sur les lieux, l’on trouva que dans l’espace de quinze jours le vampire, oncle de cinq neveux et nièces, en avait déjà expédié trois et un de ses propres frères. Il en était au cinquième, belle jeune fille sa nièce, et l’avait déjà sucée deux fois, lorsque l’on mit fin à cette triste tragédie par les opérations suivantes.

On se rendit avec les commissaires députés pas loin de Belgrade, dans un village, et cela en public, à l’entrée de la nuit, à sa sépulture. Ce monsieur n’a pu me dire les circonstances du temps auquel les précédents morts avaient été sucés, ni les particularités à ce sujet. La personne après avoir été sucée, se trouva dans un état pitoyable de langueur, de faiblesse, de lassitude, tant le tourment est violent. Il y avait environ trois ans qu’il était enterré : l’on vit sur son tombeau une lueur semblable à celle d’une lampe, mais moins vive.

On fit l’ouverture du tombeau, et l’on y trouva un homme aussi entier et paraissant aussi sain qu’aucun de nous assistants ; les cheveux, et les poils de son corps, les ongles, les dents et les yeux (ceux-ci demi-fermés) aussi fermement attachés après lui, qu’ils le sont actuellement après nous qui avons vie, et qui existons, et son cœur palpitant.

Ensuite l'on procéda à le tirer hors de son tombeau, le corps n’étant pas à la vérité flexible, mais n’y manquant nulle partie, ni de chair, ni d’os ; ensuite on lui perça le cœur avec une espèce de lance de fer rond et pointu : il en sortit une matière blanchâtre et fluide avec du sang, mais le sang dominant sur la matière, le tout n’ayant aucune mauvaise odeur ; ensuite de quoi on lui trancha la tête avec une hache semblable à celle dont se sert en Angleterre pour les exécutions : il en sortit aussi une matière et du sang semblable à celle que je viens de dépeindre, mais plus abondamment à proportion de ce qui sortit du cœur.

Au surplus on le rejeta dans sa fosse, avec force chaux vive pour le consommer plus promptement, et dès lors sa Nièce qui avait été sucée deux fois se porta mieux. A l’endroit où ces personnes sont sucées, il se forme une tache très bleuâtre ; l’endroit du sucement n’est pas déterminé, tantôt c’est en un endroit, tantôt c’est en un autre. C'est un fait notoire attesté par les Actes les plus autentiques , et passé à la vûe de plus de 1300 personnes toutes dignes de foi.

[...]

CHAPITRE XV

Autre lettre sur les Revenans.

[...]

Un parent de ce même Officier m’a fait écrire le 17 octobre 1746, que son frère qui a servi pendant vingt ans en Hongrie, et qui a très curieusement examiné tout ce qu’on y dit des revenants, reconnaît que les peuples de ce pays sont plus crédules et plus superstitieux que les autres peuples, et qu’ils attribuent les maladies qui leur arrivent à des sortilèges. Que d’abord qu’ils soupçonnent une personne morte de leur avoir envoyé cette incommodité, ils la défèrent au magistrat qui sur la déposition de quelques témoins fait exhumer le mort ; on lui coupe la tête avec une bêche, et s’il en sort quelque goutte de sang, ils en concluent que c’est le sang qu’il a sucé à la personne malade. Mais celui qui m’écrit paraît fort éloigné de croire ce que l’on pense dans ce pays-là.

[...]

CHAPITRE XLV.

Morts qui mâchent comme des porcs dans leurs tombeaux, & qui dévoretn leur propre chir.

C’est une opinion fort répandue dans l’Allemagne que certains morts mâchent dans leurs tombeaux et dévorent ce qui se trouve autour deux, qu’on les entend même manger comme des porcs avec un certain cri sourd et comme grondant et grunissant.

Un auteur allemand, nommé Michel Raufft, a composé un ouvrage intitulé De masticatione moruorum in tumulis (Des morts qui mâchent dans leurs tombeaux). Il suppose comme une chose prouvée et certaine qu’il y a certains morts qui ont dévoré les linges et tout ce qui était à portée de leurs bouches, et même, qui ont dévoré leur propre chair dans leurs tombeaux. Il remarque qu’en quelques endroits dAllemagne, pour empêcher les morts de mâcher, on leur met sous le menton, dans le cercueil une motte de terre, qu’ailleurs on leur met dans la bouche une pièce d’argent et une pierre, ailleurs on leur serre fortement la gorge avec un mouchoir. L'Auteur cite quelques Ecrivains Allemands, qui font mention de cet usage ridicule ; et il en rapporte plusieurs autres , qui parlent des morts , qui ont dévoré leur propre chair dans leur sépulchre. Cet ouvrage a été imprimé à Leipsic en 1728. Il parle d'un Auteur nommé Philippe Rehrius , qui imprima en 1679 un traité sur le même titre : de masticatione mortuorum.

Il aurait pû y ajoûter le fait de Henry comte de Salm qui, ayant été cru mort, fut enterré tout vivant ; l’on ouï pendant la nuit dans l’église de lAbbaye de Haute-Seille, où il était enterré de grands cris, et le lendemain, son tombeau ayant été ouvert, on le trouva renversé et le visage en bas, au lieu qu’il avait été enterré sur son dos, et le visage en haut.

Il y a quelques années qu’à Bar-le-Duc un homme ayant été inhumé dans le cimetière, on ouï du bruit dans sa fosse, le lendemain on le déterra et on trouva qu’il s’était mangé les chairs des bras ; ce que nous avons appris de témoins oculaires. Cet homme avait bu de l’eau-de-vie avec excès et avait été enterré comme mort. Raufft parle d’une femme de Bohême qui en 1345 avait mangé dans sa fosse la moitié de son linceul sépulcral ; du temps de Luther un homme mort et enterré et une femme, de même, se rongèrent les entrailles. Un autre mort en Moravie dévora les linges d’une femme enterrée auprès de lui.

[...]

CHAPITRE XLVL

Exemple singulier d'un Revenant de Hongrie.

L'exemple le plus remarquable qu’il cite est celui d’un nommé Pierre Plogojowits, enterré depuis environ dix semaines, dans un village de Hongrie nommé Kissolova ; cet homme apparut la nuit à quelques-uns des habitants du village pendant leur sommeil, et leur serra tellement le gosier qu’en vingt-quatre heures ils en moururent : il périt ainsi neuf personnes tant vieilles que jeunes dans l’espace de huit jours.

La veuve du même Plogojowits déclara que son mari depuis sa mort lui était venu demander ses souliers, ce qui l’effraya tellement qu’elle quitta le lieu de Kissolova pour se retirer ailleurs.

Ces circonstances déterminèrent les habitants du village à tirer le corps de Plogowits et de le brûler, pour se délivrer de ses infestations. Ils s’adressèrent à l’officier de l’empereur, qui commandait dans le territoire de Gradisca en Hongrie, et au curé du même lieu, pour obtenir la permission d’exhumer le corps de Pierre Plogojowits ; l’officier et le curé firent beaucoup de difficultés d’accorder cette permission. Mais les paysans déclarèrent que si on leur refusait de déterrer le corps de cet homme, qu’ils ne doutaient point que ce ne fut un vrai vampire (c’est ainsi qu’ils appellent les revenants ou redevives), ils seraient obligés d’abandonner le village et de se retirer où ils pourraient.

L’Officier de l’Empereur qui a écrit cette relation, voyant qu’il ne pouvait les arrêter, ni par menaces, ni par promesses, se transporta avec le curé de Gradisca au village de Kissolova, et ayant fait exhumer Pierre Plogojowits, ils trouvèrent que son corps n’exhalait aucune mauvaise odeur, qu’il était entier et comme vivant, à l’exception du bout du nez qui paraissait un peu flétri et desséché ; que ses cheveux et sa barbe étaient drus, et qu’à la place de ses ongles, qui étaient tombés, il lui en était venu de nouveaux ; que sous sa première peau, qui paraissait comme morte et blanchâtre, il en paraissait une nouvelle, saine et de couleur naturelle, ses pieds et ses mains étaient aussi entiers qu’on les pouvait souhaiter dans un homme bien vivant. Ils remarquèrent aussi dans sa bouche du sang tout frais, que ce peuple croyait que ce vampire avait sucé aux hommes qu’il avait fait mourir.

L'Officier de l’Empereur et le Curé ayant diligemment examiné toutes ces choses, et le peuple qui était présent, en ayant conçu une nouvelle indignation, et s’étant de plus en plus persuadé qu’il était la vraie cause de la mort de leurs compatriotes, accoururent aussitôt chercher un pieu bien pointu, qu’ils lui enfoncèrent dans la poitrine, d’où il sortit quantité de sang frais et vermeil, de même que par le nez, et par la bouche ; il rendit aussi quelque chose par la partie de son corps que la pudeur ne permet pas de nommer. Ensuite les paysans suivirent le corps sur un bûcher, et le réduisirent en cendres.

M. Rauff de qui nous tenons ces particularités , cite plusieurs Auteurs, qui ont écrit sur la même matiere , et on rapporté des exemples de ces morts , qui ont mangé dans leurs tombeaux. Il cite en particulier  Gabriel Rzaczinoki dans son Histoire des Curiosités naturelles du Royaume de Pologne,imprimée en 1721 à Sandomir.

CHAPITRE XLVII.

Raisonnement sur cette matiere,

Ces Auteurs ont beaucoup raisonné sur ces événemens.

1° Les uns les ont crus miraculeux.

2° Les autres les ont regardés comme de purs effets d’une imagination vivement frappée, ou d’une forte prévention.

3° D’autres ont cru qu’il n’y avait en cela rien que de très naturel et de très simple ; ces personnes n’étant pas mortes, et agissant naturellement sur les autres corps.

4° D’autres ont prétendu que c’était l’ouvrage du démon ; même entre ceux-ci, quelques-uns ont avancé qu’il y avait certains démons bénins, différents des démons malfaisants et ennemis des hommes, à qui ils ont attribué des opérations badines et indifférentes ; à la distinction des mauvais démons, qui inspirent aux hommes le crime et le péché, et qui leur causent une infinité de maux. Mais quels plus grands maux peut on avoir à craindre des vrais Démons et des Esprits les plus malins, que ceux que les Revenans de Hongrie causent aux personnes qu'ils sucent et qu'ils font mourir?

5° D’autres veulent que ce ne soit par les morts, qui mangent leurs chairs, ou leurs habits, mais ou des serpents, ou des rats, des taupes, des loups cerviers, ou d’autres animaux voraces, ou même ce que les païens nommaient Striges, qui sont des oiseaux qui dévorent les animaux et les hommes, et en sucent le sang. Quelques-uns ont avancé que ces exemples se remarquaient dans les femmes, et surtout au temps de peste. Mais on a des exemples de revenants de tout sexe, et principalement des hommes ; quoique ceux qui sont morts de peste, de poison, de rage, d’ivresse et de maladie épidémique, soient plus sujets à revenir ; apparemment parce que leur sang se coagule plus difficilement, et que quelquefois on en enterre qui ne sont pas bien morts, à cause du danger qu’il y a de les laisser longtemps sans sépulture, de peur de l’infection qu’ils causeraient.

On a ajouté que ces vampires ne sont connus que dans certains pays, comme la Hongrie, la Moravie, la Silésie, où ces maladies sont plus communes, et où les peuples, étant mal nourris, sont sujets à certaines incommodités causées, ou occasionnées par le climat et la nourriture, et augmentées par le préjugé, l’imagination et la frayeur, capables de produire ou d’accroître les maladies les plus dangereuses, comme l’expérience journalière ne le prouve que trop. Quant à ce que quelques-uns avancent, qu’on entend ces morts manger et mâcher comme des porcs dans leurs tombeaux, cela est manifestement fabuleux, et ne peut être fondé que sur des préventions ridicules.

CHAPITRE LX

Impossibilité morale , que les Revenans sortent de leurs tombeaux.

J’ai déjà proposé l’objection formée sur l’impossibilité que ces vampires sortent de leurs tombeaux et y rentrent, sans qu’il y paraisse qu’ils ont remué la terre en sortant, ou en rentrant ; on n’a jamais pu répondre à cette difficulté, et l’on n’y répondra jamais. Dire que le démon subtilise et spiritualise les corps des vampires, c’est une chose avancée sans preuve et sans vraisemblance.

La fluidité du sang, la couleur vermeille, la souplesse des membres des vampires en doit pas surprendre, non plus que les ongles et les cheveux qui leur croissent, et leur corps qui demeure sans corruption. On voit tous les jours des corps qui n’éprouvent point la corruption, et qui conservent une couleur vermeille après la mort. Cela ne doit pas paraître étranger dans ceux qui meurent sans maladie et de mort subite, ou de certaines maladies connues aux médecins, qui n’ôtent pas la fluidité du sang, ni la souplesse des membres.

A l'égard de l’accroissement des cheveux et des ongles dans les corps qui ne sont point corrompus, la chose est toute naturelle. Il demeure dans ces corps une certaine circulation lente et imperceptible des humeurs, qui cause cet accroissement des ongles et des cheveux, de même que nous voyons tous les jours les oignons croître et pousser, quoique sans aucune nourriture, ni humidité tirée de terre.

On en peut dire autant des fleurs, et en général de tout ce qui dépend de la végétation dans les animaux et dans les plantes.

La persuasion où sont les peuples de la Grèce, du retour des broucolaques, n’est pas mieux fondée que celle des vampires et des revenants. Ce n’est que l’ignorance, la prévention, la terreur des Grecs, qui ont donné naissance à cette vaine et ridicule créance, et qui l'ont entretenue jusqu’à aujourd’hui. La relation que nous avons rapportée d'après M. Tournefort , témoin oculaire et bon Philosophe,peut suffire pour détromper ceux qui voudroient s'intéresser à les soutenir.

[...]

CAHPITRE LXI.

Ce qu'on raconte des corps des Excommuniés qui sortent de l'Eglise , est sujet à de très grandes difficultés.

[...]

Tout ce qu’on dit des personnes mortes, qui mâchent sous la terre dans leurs tombeaux, est si pitoyable et si puéril, qu’il ne mérite pas une réputation sérieuse. Tout le monde convient qu’il n’arrive que trop souvent, qu’on enterre des personnes, qui ne sont pas bien mortes. On n’en a que trop d’exemples dans toutes les histoires anciennes et modernes. La thèse de M.Winflou, et les notes que M.Bruhier y a ajoutées, suffisent à prouver qu’il y a peu de signes certains d’une véritable mort, hors la puanteur et la putréfaction d’un corps au moins commencée. On a une infinité d’exemples de personnes qu’on a crues mortes, et qui sont revenues, même après avoir été mises en terre. Il y a je ne sais combien de maladies, où le malade demeure longtemps sans paroles, sans mouvement, sans respiration sensible ; il y a des noyés qu’on a crus morts, et qu’on a fait revenir en les saignant et en les soulageant.

Tout cela est connu, et peut servir à expliquer comment on a pu tirer du tombeau quelques vampires, qui ont parlé, crié, hurlé, jeté du sang ; tout cela, parce qu’ils n’étaient pas encore morts. On les fait mourir en les décapitant, en leur perçant le cœur, en les brûlant, et en cela on eu très grand tort ; car le prétexte qu’on a pris de leur prétendu retour, pour inquiéter les vivants, les faire mourir, les maltraiter : c’est ce qui n’a jamais été ni prouvé, ni constaté d’une pareille inhumanité, ni à déshonorer, faire mourir ignominieusement, sur des accusations vagues, frivoles, non prouvées, des personnes certainement innocentes de la chose dont on les charge.

Car rien n’est plus mal fondé que ce qu’on dit des apparitions, des vexations, des troubles causés par les prétendus vampire et par les broucolaques. Je ne suis pas surpris que la Sorbonne ait condamné les exécutions sanglantes et violentes que l’on exerce sur ces sortes de corps morts ; mais il est étonnant que les puissances séculières et les magistrats n’emploient pas leur autorité et la sévérité des lois, pour les réprimer."

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Ouroboros

«A veces, se alzan puertas. Atravesarlas o pasar de largo; esa es la elección del viajero, la causa de su grandeza y de su eterno peregrinar. Viajero llama a la puerta si quieres pasar...»